La valorisation des déchets et de la biomasse

Entretien avec Ange Nzihou, Professeur en Génie des Procédés au centre de formation et de recherche RAPSODEE UMR CNRS 5302 et au sein du Master Biomass and Waste for Energy and Materials (BiWEM) proposé par IMT Mines Albi.

La parole est donnée à Ange Nzihou, professeur à IMT Mines Albi, enseignant dans le Master Biomass and Waste for Energy and Materials (BiWEM) et chercheur au centre de formation et de recherche RAPSODEE associé au CNRS, depuis 22 ans.

Comment déterminer si cela vaut la peine de valoriser tel ou tel déchet ?

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ange-nzihou-web-50.jpg, par jfages

Chaque fois qu’il s’agit de questions environnementales, les aspects économiques doivent être pris en compte. Malgré la publicité et l’écho dans la société autour de la valorisation des déchets, il faut qu’il y ait un intérêt économique pour que les actions aient du sens. Tout est donc question de l’offre et de la demande.  Quand ces deux aspects Environnement et Économie sont réunis, on peut réfléchir comment transformer une matière de base en produits qui apportent de la valeur en tenant compte des aspects sociaux également.

Prenons l’exemple des plastiques, matériaux essentiels qui ont été développés avec tant de succès au cours de ce siècle. L’inconvénient est que nous avons généré une quantité énorme de plastiques très complexes. Ces plastiques sont difficiles à recycler, parce qu’ils contiennent des polluants tels que les métaux et leur valorisation directe dans une approche « circuit court » n’est pas souvent rentable. Ces matériaux sont fabriqués, utilisés, et à la fin de leur vie, ils devraient être réintégrés dans le circuit économique et ainsi favoriser un cycle vertueux de la matière.

Un autre exemple d’actualité concerne les éléments chimiques stratégiques. Aujourd’hui, la situation est extrêmement tendue en ce qui concerne la disponibilité des métaux stratégiques ou critiques, tels que le cuivre ou les terres rares par exemple. Ce sont des ressources dont la distribution géographique est inégale et se concentre pour la plupart dans très peu de pays. Ce sont des éléments importants car nous les utilisons très largement dans nos vies quotidiennes (dans l’électronique, les batteries, les voitures…). Aujourd’hui, quand les équipements utilisant ces matériaux stratégiques arrivent en fin de vie le processus de recyclage n’en récupère qu’une partie limitée. Par conséquent, si vous me demandez lesquels, dans les principales filières stratégiques, mériteraient une attention particulière, je dirais les métaux plutôt que les plastiques pour lesquels nous disposons de plus de leviers d’actions pour en gérer les flux (campagnes de sensibilisation des citoyens et des industriels, restriction d’utilisation, etc…). 
 

Quels sont les opportunités et les défis dans la valorisation des métaux ? 

Si nous prenons l’exemple du cuivre, nous avons une production annuelle limitée, bien qu’issue de diverses sources. La production de cuivre est en baisse, parce qu’il s’agit d’une ressource non-renouvelable. D’ici trente ans, ces matériaux seront très peu disponibles s’ils ne sont pas correctement recyclés.  Mais en faisant preuve d’imagination, nous développons aujourd’hui des technologies de valorisation qui sont innovantes et génératrices de nouveaux emplois. Je vois là une opportunité plutôt qu’un problème, dans la mesure où cela permet de concevoir de nouveaux procédés et de repenser la production de nouveaux matériaux pour faire face aux défis de demain. Pour les jeunes ingénieurs, le recyclage et la valorisation sont les vecteurs d’opportunités mettant en avant l’innovation et le développement durable. Nous devons modifier notre façon de penser pour développer une nouvelle approche conjuguant les critères d’efficacité, de retombées économiques et de bienfaits environnementaux et sociaux.  En tant qu’enseignants, nous devons aborder la conception du procédé d’une manière différente. Au lieu de tenir compte uniquement de l’efficacité et des rendements, l’accent est aujourd’hui mis sur les technologies peu intenses en énergie et ayant un faible impact environnemental. Une approche que d’aucun qualifierait comme une évolution vers des technologie plus vertes.
 

Quels sont les défis et les dernières innovations en ce qui concerne la valorisation des déchets plastiques en particulier ? 

Les plastiques ont fait l’objet de beaucoup de développements scientifiques et technologiques ces dernières années, au point que le recyclage est maintenant problématique. Les microplastiques contenus dans beaucoup de matériaux d’usage courant par exemple sont difficiles à gérer en fin de vie des matériaux. La conséquence est qu’ils se répandent facilement dans l’atmosphère, en milieu marin et dans les sols. En Europe, les stratégies de recyclage des plastiques sont bien développées depuis de longues années avec des filières et des acteurs bien définis. Aujourd’hui cependant, la gestion de nombreux plastiques de composition complexe n’est pas facile. D’une part, des progrès notables ont été réalisés en termes de fonctionnalités permettant ainsi leur usage dans de nombreux domaines, mais d’autre part, ils ont l’inconvénient  de se répandre relativement facilement dans l’environnement. Les microplastiques dans l’air et dans les eaux usées constituent donc un défi majeur.

Tandis qu’aujourd’hui la plupart des plastiques sont fabriqués à partir de produits chimiques dérivés de combustibles fossiles, les innovations se trouvent dans le développement de bioplastiques biodégradables issus de ressources renouvelables telles que la biomasse. Ce domaine des bioplastiques représente des opportunités et amènera à des innovations technologiques, à de nouveaux produits qui auront un impact environnemental plus faible tout en créant une nouvelle économie et de nouveaux emplois. Cela devrait à terme changer notre regard sur les « plastiques ».  
 

Que diriez-vous à un élève ingénieur qui réfléchit à un projet professionnel dans le secteur de la gestion des déchets et des résidus ?

Nous devons considérer les déchets comme des matières premières, des ressources dont on peut extraire de la valeur. Autrefois c’était une question politique, mais aujourd’hui il s’agit d’un marché qui a du sens et beaucoup d’entreprises gagnent de l’argent dans le traitement et la valorisation des déchets ; cela ouvre de réelles opportunités de carrière pour les jeunes dans la gestion des déchets, ainsi qu’une logique économique et un but social. Les jeunes aujourd’hui recherchent des emplois qui ont un sens, et la gestion durable des déchets pourrait répondre à ce besoin car elle permet de gagner sa vie tout en contribuant à une meilleure gestion des ressources par la prise en compte de leur portée environnemental et sociale.

Ange Nzihou, professeur à IMT Mines Albi, enseignant dans le Master Biomass and Waste for Energy and Materials (BiWEM) et chercheur au centre de formation et de recherche RAPSODEE associé au CNRS, depuis 22 ans. Il est Professeur associé dans plusieurs Universités internationales majeures telles que l’université de Princeton (USA), University College Dublin (Irlande), l’université Mahatma Gandhi (Inde) et l’université de Zhejiang (Chine). Ses recherches sont axées sur le traitement et la valorisation des déchets et de la biomasse en énergie (hydrogène, gaz de synthèse et biocarburants) et en matériaux à valeur ajoutée (adsorbants et matériaux pour le stockage de l’énergie). Il est aussi Rédacteur-en-chef de la revue scientifique internationale à comité de lecture, « Waste and Biomass Valorization », créée il y a dix ans avec les éditions Springer Nature.

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