Le pilotage de la conception par la fin de vie, chaînon manquant de l’économie circulaire

Entretien avec le Professeur Didier Perrin, enseignant-chercheur à IMT Mines Alès et responsable de l’axe de recherche Durabilité & Recyclage des polymères et composites au sein de l’équipe Polymères Composites Hybride (UPR PCH) du Centre des Matériaux d'IMT Mines d’Alès (C2MA).

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didier_perrin.jpg, par sranc

Didier Perrin travaille sur la problématique des mélanges de polymères et composites issus des déchets électriques et électroniques, des véhicules hors d’usage, du nautisme et de l’aéronautique. Il est par ailleurs acteur sur le développement de filières de recyclage des matériaux en partenariat avec des entreprises, éco-organismes, pôles de compétitivité et écoles/universités. Il a remporté le 1er Prix FIEEC Carnot 2021 de la recherche appliquée pour le projet de recherche « Mélanie » en partenariat avec les sociétés Pellenc ST et Suez. L’économie circulaire et la thématique des matériaux sont enseignées dans le nouveau mastère spécialisé PRINEC, Procédés et Ressources pour l’INgeniérie de l’Economie Circulaire, une formation proposée conjointement par IMT Mines Albi et IMT Mines Alès , soutenue par l’éco-organisme Valdelia.

Quelle est votre définition de l’économie circulaire ? 

Dans sa définition de base, l'économie circulaire consiste à produire des biens et des services de manière durable en limitant la consommation et le gaspillage des ressources, ainsi que la production de déchets. Il s’agit donc de substituer une logique circulaire au modèle obsolète et archaïque du « tout jetable » qui veut qu’un produit passe forcément par des étapes d'extraction (matières premières), de fabrication, de consommation et finisse à l’état de déchets. Cependant, la définition de l’économie circulaire me semble devoir être approfondie sur deux points.

Tout d’abord, elle doit envisager l’éco-conception au sens large, c’est à dire qu’elle doit prendre en compte la durabilité des produits, la qualité des matières recyclées utilisées pour leur fabrication et l’amélioration de leur réparabilité. Elle doit également œuvrer pour une meilleure information des consommateurs pour les inciter à des choix plus responsables, et enfin elle doit tenir compte de l’efficacité de nos processus de tri et de recyclage en vue d’augmenter le potentiel de transformation des déchets en ressources.

Deuxièmement, une économie circulaire efficiente doit évaluer les impacts environnementaux à toutes les étapes de la vie du produit : sa fabrication, son usage, et son traitement après usage. L’exemple des véhicules électriques illustre parfaitement ce manque : leur usage est à faible impact environnemental mais leur fabrication et leur fin de vie pénalisent cet impact.

Partant de ce constat, il y a un chaînon manquant dans la définition classique de l’économie circulaire : le pilotage de la conception par la fin de vie des produits.

Qu’apporterait cette démarche de conception par la fin de vie des produits ? 

Aujourd’hui, l’éco-conception est principalement orientée sur la substitution matière sans que soient regardées les conséquences sur la génération de déchets. C’est tout simplement la question de la capacité de nos filières de collecte et de tri à les réinjecter dans l’économie circulaire qui n’est pas envisagée. Un déchet non identifiable par les processus de tri, parce que, par exemple, trop nouveau ou trop complexe -parce que combinant plusieurs matériaux-, est un déchet qui échappe aux filières de tri et donc au recyclage. C’est donc au final, un déchet qui engendre des sources de pollution de plus en plus visibles et à fort impact pour les organismes vivants et en termes de biodiversité. Voilà pourquoi, l’économie circulaire doit s’attacher à utiliser des matières premières secondaires de qualité et dont la performance serait évaluée au regard de leur capacité à générer des matières recyclées et réutilisables. C’est cela le pilotage de la conception par la fin de vie des produits, qu’il me semble essentiel d’intégrer à l’économie circulaire.

Quelles conséquences si cette approche systémique ne se met pas en place rapidement ?

Si l’on n’agit pas sur ce terrain, c’est la dégradation des matériaux plastiques qui pose problème : ils vont devenir des microplastiques qui restent des plastiques, très aérauliques, polluant l'air, s'infiltrant dans les nappes phréatiques et dans la mer.  Trop gros pour être minéralisés par les enzymes de notre organisme mais assez petits pour le pénétrer, ils sont aujourd’hui une source avérée de pathologies cancéreuses. Pour donner un ordre d’idée, nos organismes absorbent chaque semaine l'équivalent d'une carte de crédit de microplastiques. 5 milliards de tonnes de plastique ont été produits depuis les années 50, ce qui équivaut à 500 000 tours Eiffel. En 2022, 70% de ce gisement est encore à l'état de déchets. En France, sur les 5 tonnes de déchets générés par an et par habitant, 10% sont des déchets ménagers. Donc oui, il y a urgence à agir et l’expertise en matériaux doit s’imposer comme la pierre angulaire de l’efficience du recyclage.

Quels sont les facteurs de réussite à la mise en œuvre d’une telle démarche ?

La première condition est que les acteurs se parlent et travaillent ensemble pour nourrir l’économie circulaire. Aujourd’hui, si l’on prend l’exemple des téléphones, aucun système ne peut être recyclé. Pour que le pilotage de la conception par la fin de vie fonctionne, il faut s’appuyer sur un système de responsabilité élargie des fabricants qui les encourage :

  • à s’engager dans une démarche de valorisation de leurs déchets et dans la mise en œuvre de filières de traitement ad hoc,
  • à réduire l’impact de l’extraction des matières 1ères et à intégrer un maximum de matières récupérées ou recyclées dans leurs produits,
  • à prévenir la génération de déchets en augmentant la durée de vie de leurs produits et en étant responsables de leur traitement en fin de vie et ce jusqu’à l’élimination des déchets qui échappent à la valorisation, car l’économie n’est circulaire que lorsque l’élimination de déchets est infinitésimale.

Enfin, reste un point à ne pas négliger, c’est la préservation fonctionnelle du produit, une condition impérative pour emporter l’adhésion des fabricants.

Pouvez-vous illustrer le pilotage de la conception par la fin de vie à travers un exemple concret ?

Je vais reprendre l’exemple du téléphone portable. Il est composé d’une kyrielle de matériaux, dont beaucoup de type métaux précieux ou terres rares, ressources en tension. Elles ne demandent qu’à être récupérées, cependant la conception des téléphones est telle que c’est impossible. Les composants sont majoritairement clipsés ou encapsulés et ne sont pas recyclables. Enfin, l’obsolescence programmée est aussi un fléau. Encouragée par les fabricants, elle conditionne le consommateur à changer des téléphones en parfait état de marche.

Dans ce contexte, c’est un véritable changement de paradigme qu’il faut opérer, à savoir, piloter la conception des produits, en mettant en correspondance l’amont basé sur l’éco-conception et l’aval basé sur la stratégie de fin de vie, à penser dès la phase du bureau d’études.

Dans l’exemple de notre téléphone, cela implique que les fabricants travaillent, en amont, avec les acteurs du recyclage pour anticiper le devenir de leurs déchets et l’opportunité de les valoriser, via la création de nouvelles filières de traitement, le cas échéant. Cette approche permettrait aux fabricants de concevoir des téléphones aptes à s’intégrer dans l’économie circulaire, en prenant en compte la durabilité des matériaux ou en optant pour des composants actualisables, interchangeables ou démontables, par exemple.

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