Procédés pharmaceutiques durables : comment un comprimé pharmaceutique est-il fabriqué ?

Découvrez la parole d'expert de Jacques Fages et Romain Sescousse, enseignants chercheurs à RAPSODEE, centre de recherche associé au CNRS à IMT Mines Albi sur la fabrication de comprimés de médicaments.

Un entretien avec Prof. Fages et Dr. Sescousse respectivement directeur et directeur adjoint du Master AdPharming (Advanced Pharmaceutical Engineering).

 

Comment un comprimé pharmaceutique est-il fabriqué ?

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romain_sescousse.jpg, par jfages

Les comprimés ou les gélules sont des poudres qui ont été mises en forme. Pour fabriquer un comprimé pharmaceutique il y a toute une séquence d’étapes de fabrication. En général, on part d’un milieu liquide dans lequel le principe actif est en solution, et à partir de cette solution on opère une cristallisation. C’est-à-dire qu’on va faire apparaitre le principe actif sous forme solide. Ensuite, il faudra séparer le solide du liquide, par exemple par filtration. Dans un comprimé pharmaceutique, par exemple de paracétamol, il y a très peu de principe actif à l’intérieur. Il y a surtout de l’excipient, c’est-à-dire un diluant neutre. Pour pouvoir mélanger le principe actif avec l’excipient, il faut qu’ils aient des propriétés compatibles. En particulier, il faut que leurs tailles soient compatibles ; une étape de classification permet de sélectionner uniquement la tranche granulométrique qui va donner un bon mélange avec l’excipient. Il faut aussi une étape pour éliminer les particules les plus fines et obtenir une poudre avec de bonnes propriétés d’écoulement. On fait cela par granulation humide. On ajoute un liant, souvent de l’eau, pour granuler, c’est-à-dire agglomérer les particules jusqu’ à ce qu’elles aient une taille permettant de les comprimer. Souvent, avant de comprimer il faudra sécher. Finalement, c’est la compression qui donnera la forme finale du comprimé. Au total, le procédé est relativement long et complexe.

Quand vous prenez un comprimé parce que vous avez mal à la tête, dans le comprimé il faut qu’il y ait la bonne dose de principe actif. La régularité et la constance dans la qualité du produit sont fondamentales ! Autrefois, on fabriquait un produit et ensuite on mesurait sa qualité et on recherchait ses défauts. Maintenant dès la conception, on essaie d’intégrer toutes ces notions de qualité et de sécurité sanitaire le plus tôt possible pour au final avoir un produit le plus possible conforme aux attentes du patient.

 

Comment l'industrie pharmaceutique répond-elle aux préoccupations environnementales ?

Avec de nouveaux outils d’amélioration continue comme  le  QbD « Quality by Design », le PAT « Process Analytical Technology » ou le « Lean management », les procédés industriels optimisent le temps, les coûts de fabrication, garantissent la qualité, tout en diminuant les déchets ou les sous-produits. Le respect de l’environnement est toujours une priorité, en évitant par exemple d’utiliser des solvants toxiques. L’objectif est d’éliminer toutes les molécules qui ont une toxicité que ce soit pour l’homme ou pour l’environnement. La minimisation des déchets (le meilleur déchet c’est celui qu’on ne produit pas) et la réduction de l’impact environnemental sont pris en compte dès la conception. Aujourd’hui un procédé très performant mais polluant, ne sera jamais choisi.

 

À l’heure actuelle, la crise de Covid a mis en évidence la dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Chine et de l’Inde tant pour les API que pour la formulation et la fabrication de nombreux médicaments. Pensez-vous que cela est susceptible de changer dans un proche avenir ?

Jacques FAGES

Jacques FAGES, par jfages

Aujourd’hui la Chine et l’Inde en particulier sont de très gros fabricants de principes actifs et de médicaments génériques et à la faveur de cette crise, il y a une nouvelle prise de conscience de cette dépendance. C’est assez paradoxal car les grandes entreprises pharmaceutiques mondiales restent malgré tout européennes et américaines. Mais la fabrication de leur principes actifs est partie. La relocalisation de ces productions et donc une réindustrialisation dans un pays comme la France est envisagée. Mais si les pouvoirs publics et l’opinion sont favorables à une production locale, il reste encore beaucoup d'obstacles à surmonter avant qu'elle ne (re-)devienne réalité.

Le marché des médicaments aux États Unis et en Europe est stable, alors qu’en Inde et en Chine il est en très forte croissance, ainsi que dans tous les pays émergents. Là où est la croissance, il est logique qu’il y ait des unités de production, mais la répartition géographique doit être faite de manière harmonieuse pour que tous les patients du monde puissent être traités d’une manière juste et équitable.

 

Qu'est-ce que la crise de la Covid a révélé ?

La vitesse avec laquelle les scientifiques ont d’abord séquencé le génome du virus et ensuite ont été capables de mettre en œuvre des technologies totalement nouvelles comme le vaccin à ARN messager est exceptionnelle. On a obtenu des vaccins efficaces en moins d’un an. C’était totalement inimaginable il y a encore quelques années. Cette crise a été le révélateur des fantastiques progrès de la génétique et de la biologie moléculaire. Très peu de temps après l’apparition d’un nouveau variant du coronavirus au Royaume uni, on a des tests capables de détecter des gènes spécifiques de ce variant. Ce sont des progrès remarquables.

 

Pouvez-vous me parler du programme du master AdPharming ?

Nous faisons partie du centre de recherche RAPSODEE qui travaille sur la thématique des poudres, des solides divisés, de l’énergie et de l’environnement. Le master a pour vocation de former des cadres scientifiques ayant des compétences managériales et techniques. Ils sont capables de travailler dans un contexte international et ils connaissent les spécificités de l’industrie pharmaceutique. Lors du premier semestre les étudiants étudient les sciences fondamentales et le génie des procédés puis progressivement ils abordent les connaissances spécifiques de l’industrie pharmaceutique comme le mélange des poudres, une science en soi. Ces procédés sont enseignés par des chercheurs de RAPSODEE, mais aussi par des experts de l’industrie. Enfin, au dernier semestre une immersion professionnelle dans l’industrie pharmaceutique est prévue, c’est le stage de fin d’étude qui peut aussi se faire en laboratoire de recherche. En plus d'une base solide dans les processus pharmaceutiques, il existe de nombreux cours et projets couvrant l’ensemble des compétences requises dans l’industrie pharmaceutique, la réglementation, le management de projet ou des risques, le « lean management » , les outils de modélisation, les bonnes pratiques de fabrication et l’interculturel.

Nos étudiants viennent du monde entier et obtiendront leur diplôme pleinement préparés à travailler en équipe avec des personnes de cultures et de milieux divers.

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