La connaissance des matériaux, une expertise décisive pour le devenir de l’économie circulaire

Entretien avec le Professeur Didier Perrin, enseignant-chercheur à IMT Mines Alès et responsable de l’axe de recherche Durabilité & Recyclage des polymères et composites au sein de l’équipe Polymères Composites Hybride (UPR PCH) du Centre des Matériaux des Mines d’Alès (C2MA).

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didier_perrin.jpg, par sranc

Didier Perrin travaille sur la problématique des mélanges de polymères issus des déchets électriques et électroniques. Il est acteur sur le développement de filières de recyclage des matériaux en partenariat avec des entreprises, éco-organismes, pôles de compétitivité et écoles/universitaires. Il a remporté le 1er Prix FIEEC Carnot 2021 pour le projet de recherche « Mélanie ». L’économie circulaire et la thématique des matériaux sont enseignées dans le mastère spécialisé PRINEC, Procédés et Ressources pour l’INgeniérie de l’Economie Circulaire, une formation proposée conjointement par IMT Mines Albi et IMT Mines Alès , soutenue par l’éco-organisme Valdelia.

 

En quoi une meilleure connaissance des matériaux est-elle un facteur d’efficacité pour l’économie circulaire ?

Parce que celui qui connaît la matière va permettre de lui donner une nouvelle vie et d’en récupérer une matière secondaire de qualité. Lorsqu’on parle recyclage, il est nécessaire de prendre en compte la durabilité du matériau. Une véritable contrainte, quand on sait que chaque type de matière a une durabilité intrinsèque qui peut être affectée par des paramètres exogènes. Prenons l’exemple, des matières plastiques, contrairement au verre, elles ont une propension au vieillissement qui questionne la pertinence de leur recyclage. Ce dernier est aussi dépendant de facteurs inhérents à leurs propriétés, notamment leur immiscibilité, laquelle  est responsable :

  • d’un taux réduit d'utilisation des déchets plastiques dans les circuits de recyclage,
  • de problèmes mécaniques qui ont une incidence sur la pureté des déchets, la présence d’impuretés de divers plastiques pouvant affecter la performance de la matière issue du recyclage.

Les chiffres témoignent de cette complexité : 86% du verre bouteille « collecté » est recyclé, tandis que le taux de recyclage des plastiques se situe entre 6 et 10% des plastiques collectés. Le solde reste forcément au bord de la route.

Quelles sont les solutions pour inverser la tendance et recycler un maximum de matières plastiques ?

La clé de résolution est de faire des progrès en matière de tri. Organiser ce dernier en s’appuyant sur une connaissance approfondie des matériaux et de leurs propriétés, est une nécessité. Si on observe l’état du recyclage des plastiques aujourd’hui, on voit bien que seuls deux types le sont : le polyéthylène téréphtalate (PET), c’est à dire les bouteilles d’eau, et le polyéthylène haute densité (PE-HD) c’est à dire les bouteilles contenant de la lessive et des produits ménagers. Le recyclage « à l’aveugle » des matériaux plastiques (i.e., sans prise en compte de leurs propriétés) engendre des conséquences délétères sur la qualité des matières première secondaires issues du recyclage. Plusieurs éléments ne sont pas pris en compte :

  • la dégradation et le vieillissement des plastiques par effets photo oxydatifs (soleil, chaleur, humidité, immersion) qui affectent leurs propriétés mécaniques et leur miscibilité,
  • les problèmes d’odeur, d’aspect et d’évolution de la microstructure qui impactent le processus de recyclage.

Au final, on obtient des matières secondaires issues du recyclage moins performantes et plus coûteuses que des matières 1ères vierges. Ces exemples montrent bien la nécessité d’associer l’expertise dans le domaine des matériaux à l’organisation des filières d’économie circulaire. Mieux identifier pour bien trier et donc mieux recycler les matières.

Dans ce contexte, que faut-il faire sur le plan international en termes de perspectives de solutions ?

Tout d’abord, il faut mettre un coup d’arrêt à la surconsommation et à la surproduction. Le recyclage ne doit pas être un alibi à leur cycle infernal. Ensuite, l’éco-conception des produits doit être pilotée par leur fin de vie. Seule cette approche peut permettre de se rendre compte des problèmes liés à cette fin de vie et de repenser, en amont, la conception de produits qui s’inscrivent dans une véritable circularité.

La collecte des produits en fin de vie doit aussi être mieux organisée. Il faut collecter moins mais mieux, de manière à recueillir des produits de qualité. C’est un point important pour améliorer la qualité des matières premières secondaires issues du recyclage. Pour fédérer les consommateurs dans l’atteinte de cet objectif, les consignes de tri, souvent confuses, doivent être simplifiées et standardisées. En parallèle, les centres de tri peuvent affiner leurs processus en utilisant, par exemple, l’intelligence artificielle.

Une autre voie consisterait à adapter le matériau à l'usage auquel il est destiné et de responsabiliser le fabricant sur la durée de vie du produit. Un sac affecté au transport de courses n’exige pas une durée de vie aussi longue qu’un pare-chocs automobile, aussi peut-on imaginer deux types de durée de vie pour les produits :

  • Des produits rapidement biodégradables et biosourcés, sans pénaliser les cultures alimentaires : réalisés avec des micro-organismes qui sécrètent des sucs polymérisables (Polyhydroxy-alkanoates-PHA, polybutylène succinate-PBS, polybutylène-adipate-co-téréphtalate-PBAT), ces produits compostables à 20°C, et non à 60°C comme dans les composts industriels, peuvent être déposés dans le compost hebdomadaire ou personnel, où il se dégradent en quelques semaines après usage.
  • Des produits à longue durée de vie qui relèveraient de ce que j'appelle le cyclage, c'est à dire que le recyclage des produits serait organisé par fonction c’est-à-dire avec, si possible, une seule et même matière affectée à la fabrication d’un seul et même produit. Dans ce cas de figure, le fabricant serait responsable du cycle de vie complet de son produit. Pour reprendre l’exemple du pare-chocs, le constructeur appréhende toute la vie du pare-chocs, de sa production jusqu'à sa fin de vie, à l’issue de laquelle il redeviendra pare-chocs. On est dans le recyclage matière qui permet à ces dernières de ne pas être polluées et de s’assurer de la qualité de la matière secondaire et de mieux en contrôler ses performances. Ça commence à se mettre en place, à l'instar des éoliennes mais ça reste encore très utopiste.

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